Un texte de Mathieu Germain, enseignant-chercheur chez Innofibre
La lignine est une des composantes principales du bois, avec la cellulose et l’hémicellulose. C’est elle qui donne au bois sa dureté et sa résistance. Lorsqu’on fabrique des produits comme du papier ou du carton, c’est plutôt la cellulose qui est utilisée. La lignine, quant à elle, doit être retirée parce qu’une trop grande concentration de celle-ci rend ce type de produits fragiles.
La question se pose donc : que fait-on de toute cette lignine retirée ? Habituellement, elle est valorisée comme combustible pour alimenter en énergie les procédés de fabrication. Cependant, la lignine est une molécule organique complexe et son potentiel de valorisation va bien au-delà de l’usage traditionnel. Déjà, on l’intègre à une multitude de produits pour en améliorer les propriétés thermiques, mécaniques ou acoustiques.
Bloc de lignine
Le problème avec la lignine
Pour tirer pleinement profit de cette molécule, on gagnerait à en connaître la structure moléculaire, car on pourrait ainsi orienter efficacement les procédés menant à son extraction, et possiblement obtenir des produits plus propices à sa valorisation. Malheureusement, cette molécule omniprésente est difficile à cerner. Pourquoi a-t-on de la difficulté à connaître la structure moléculaire de la lignine ?
D’abord, chaque plante produit sa propre version de la lignine, avec des variations importantes d’une plante à l’autre. Cela est dû au processus de synthèse de la molécule à l’intérieur même de la plante. Ce processus repose sur l’assemblage combinatoire de trois monomères fondamentaux :les « briques » de base de la molécule. Par combinatoire, on entend qu’il existe des règles connues pour l’assemblage de ces monomères, mais que l’ordre précis de l’assemblage n’est pas prédéterminé.
Ensuite, la lignine que l’on extrait est généralement brisée et altérée par les procédés utilisés. Retrouver la structure d’une lignine à partir de ces fragments, c’est comme essayer de faire un casse-tête de 1 000 pièces sans le modèle, pour lequel la forme de la plupart des pièces a été changée au hasard, et de surcroît, avec beaucoup de pièces identiques !
Enfin, même si l’on arrive à obtenir une lignine relativement intacte, la plupart des mesures que l’on peut faire nous renseignent sur une seule caractéristique à la fois de sa structure complexe, comme le nombre de chaque monomère ou la masse de chaque molécule.
L’intelligence artificielle à la rescousse
Ces problèmes semblent insurmontables, mais différentes pistes de solution s’offrent à nous. Par exemple, des recherches en cours proposent d’utiliser l’intelligence artificielle (IA), reconnue pour sa capacité à faire des liens parmi une mer de données complexes. Ultimement, on espère fournir à cette IA, un ensemble de résultats expérimentaux issus d’une lignine inconnue, et obtenir en sortie une structure moléculaire probable.
Pour y arriver, on doit d’abord entraîner cette IA, à l’aide de nombreux exemples de structures moléculaires, jumelées à leurs résultats expérimentaux. L’ennui, c’est que ces exemples n’existent pas encore, car on ignore la structure précise des lignines. Cependant, on connaît plusieurs des règles d’assemblage des monomères qui forment la lignine. De plus, on peut calculer, à l’aide de la chimie numérique, de nombreuses propriétés physiques à partir d’une structure moléculaire donnée. On propose donc de créer une banque de pseudo-lignines numériques, chacune étant associée à une série de propriétés physiques théoriques. Cette banque de pseudo-lignines et de propriétés pourra ensuite servir à entraîner l’IA, entraînement qui pourra durer plusieurs jours, voire plusieurs semaines, selon la complexité de la tâche.
Après l’entraînement, on pourra utiliser une série de vrais résultats expérimentaux et interroger l’IA pour qu’elle nous fournisse une structure qui reproduit ces résultats. Cette partie est rapide, c’est une question de secondes pour obtenir une réponse. L’IA utilisée peut même produire un résultat à partir de données qu’elle n’a jamais rencontrées auparavant. On pourrait presque appeler ça « avoir de l’imagination » !
Travaux de modélisation de la lignine par Innofibre