Auteur : Martin Dubé, enseignant au Cégep de Trois-Rivières et chercheur chez Innofibre.
L’industrie papetière du Québec a de tout temps été associée étroitement avec le bois, les forêts et les scieries. Pourtant, il existe plusieurs autres sources de fibres et celles-ci pourraient être appelées à jouer un rôle de plus en plus important dans le futur.
Quand le savoir-faire ancien devient innovation
La production ancienne de papier reposait déjà sur des fibres non ligneuses, telles que le papyrus ou le coton. Plusieurs produits papetiers spécialisés utilisent déjà des fibres issues de la bagasse (résidus fibreux du broyage de la canne à sucre) ou du bambou. Au Québec, il serait possible d’utiliser les résidus de cultures céréalières qui génèrent des volumes importants de biomasse (environ 2 millions de tonnes métriques (MTM) par année). De plus, de nouvelles cultures en émergence, telles que le chanvre et le cannabis génèrent une quantité de résidus de plus en plus considérable.
Grand potentiel et grandes contraintes
Cependant, plusieurs problèmes techniques et logistiques doivent encore être résolus, et actuellement, l’abondance de copeaux de bois disponibles sur le marché n’incite pas la recherche et l’utilisation des fibres d’origine agricole pour les pâtes et papiers.
Comme leur nom l’indique, les fibres non ligneuses contiennent moins de lignine que les fibres lignocellulosiques traditionnelles des bois des feuillus ou des résineux). Ainsi, elles offrent un certain avantage du côté de leur mise en pâte. Par contre, comme toute autre biomasse résiduelle, la faible masse volumique des résidus impose des contraintes logistiques importantes notamment en frais de transport, d’entreposage et dans certains cas, de conservation. Bien que les procédés typiques de mise en pâte (mécaniques, semi-chimiques ou chimiques) soient tout à fait adaptables aux résidus agricoles, les grands volumes nécessaires pour la production de papier font augmenter considérablement les coûts de transport. Si tous les territoires tentent de développer des solutions à ces contraintes, pour le Québec cela représente un défi particulièrement important en raison de la faible concentration des productions agricoles sur son territoire comparativement à d’autres régions telles que les prairies canadiennes.
Des équipements adaptés aux réalités territoriales
À cet égard, il devient intéressant d’explorer des procédés de défibrage à sec (broyage pour obtenir des fibres grossières) ou encore les procédés de mise en pâte chimico-thermomécanique par extrudeuse à double-vis (étapes simultanées de cuisson et de raffinage). Ces procédés pourraient offrir des solutions économiquement viables, car il importe d’adapter le mode de transformation des fibres selon la localisation des différents gisements de biomasse. Il faut également considérer si la matière biosourcée devrait être transformée avant d’être transportée.
Dans les papiers et cartons, les fibres issues de cultures céréalières ont une longueur semblable à celle des fibres de bois de feuillus et peuvent servir de fibres d’appoint. Les fibres de chanvre ou de lin, beaucoup plus longues, peuvent quant à elles, être utilisées comme fibres de renforcement, mais ces fibres doivent préalablement être raffinées. Pour y arriver, on pourra utiliser un triturateur/raffineur de type « Tornado ». Celui-ci coupera les fibres en même temps qu’il les raffine en les fibrillant, c’est-à-dire en ouvrant la structure de la fibre. Ces longues fibres issues de la biomasse agricole présentent aussi un fort potentiel pour une utilisation dans les produits thermoformés ou non tissés.
Et encore plus de défis
Un autre défi de taille réside dans le fait qu’en général, les capacités de drainage des fibres agricoles sont moindres que celles des autres fibres, diminuant ainsi la capacité de production des usines. Pour permettre le drainage de la pâte dans la section humide de la machine à papier, la vitesse de production de la machine pourrait être réduite. Ceci aurait une grande incidence sur la capacité de production d’une usine. Innofibre étudie comment adapter les équipements et les procédés afin de permettre l’utilisation de ces fibres tout en maintenant un niveau de productivité intéressant.
En conclusion, les résidus agricoles peuvent offrir une source alternative de fibres, mais il est important de réaliser qu’il n’existe pas de situations « générales » et que chaque type de résidus demande un ensemble unique de solutions techniques, logistiques et de mise en marché. L’équipe d’Innofibre s’affaire à développer des procédés innovants qui permettront la valorisation de cette biomasse abondante en des papiers, des cartons et autres produits cellulosiques aux multiples propriétés.