Auteure : Maude Tessier-Parenteau, chercheuse chez Innofibre
« Cet article scientifique aborde les innovations dans le domaine du chanvre au Québec. Innofibre ne produit pas et ne vend pas de chanvre. Innofibre est un centre de recherche qui accompagne les entreprises dans le développement de produits, mais n’a pas d’expertise agricole dans la culture et la production de chanvre. »
Le premier projet sur lequel j’ai travaillé il y a deux ans chez Innofibre portait sur la valorisation des résidus de chanvre industriel. « Tu travailles sur le pot ? » me demandait-on. Le chanvre, bien que son nom soit Cannabis Sativa, est une variété de cette plante qui ne contient pas ou très peu de tétrahydrocannabinol (THC), le composé responsable des effets psychotropes recherchés pour l’usage de drogues. En raison de ses multiples propriétés et de son potentiel commercial, on assiste présentement à un retour de la culture en champ de cette plante mise à l’index pendant près d’un siècle.
Encore méconnu au Québec, à en croire les commentaires reçus, le chanvre est une plante cultivée depuis plus de 10 000 ans avant notre ère. Au 18e siècle, les accessoires de bateau comme les cordages, les filets de pêche et les voiles étaient faits en chanvre. En Chine, vers la fin du 19e siècle, le papier était principalement fabriqué à partir de fibres de chanvre. D’ailleurs, le papier-monnaie au Canada a longtemps contenu de la fibre de chanvre. Cette plante subit un premier revers lorsque les bateaux à voile tendent à disparaître et que le coton et les fibres synthétiques deviennent de plus en plus populaires. Un second coup est infligé à l’industrie du chanvre en 1930 lors de son interdiction dans la foulée de la prohibition du cannabis par les autorités canadiennes.
On doit attendre jusqu’aux années 1990 pour voir les premières levées d’interdiction de la culture du chanvre dans différents pays. Au Canada, c’est en 1998 que l’on distingue le chanvre du cannabis en instaurant la réglementation du chanvre industriel afin d’autoriser la culture, la distribution, l’importation, l’exportation ou la transformation du chanvre industriel dans des conditions contrôlées. À cet effet, l’attribution d’une licence est obligatoire.
Les marchés du chanvre au Québec
La culture du chanvre ne requiert aucun pesticide, herbicide, insecticide ou engrais chimique. C’est donc une culture intéressante pour viser l’obtention d’une certification biologique. Dans les années 2010, on constate l’arrivée d’entreprises québécoises qui se lancent dans la commercialisation de produits alimentaires à partir du chanvre cultivé pour son grain. Apparaissent alors sur le marché des produits locaux et biologiques tels que des graines décortiquées, de la farine et de l’huile de chanvre, aux vertus recherchées, entièrement produites et transformées au Québec.
Le marché de la graine de chanvre est bien ancré au Québec, mais d’autres secteurs sont prometteurs et gagnent à être connus. En 2017, une entreprise québécoise débute dans la fabrication d’écomatériaux mettant en vedette les propriétés d’isolation des fibres de chanvre, une première en Amérique du Nord. On voit alors apparaitre des panneaux isolants, des feutres de sous-plancher dans le domaine de la construction, en passant par des doublures isolantes dans les boîtes de transport d’aliments à température contrôlée. Les bioproduits de fibres de chanvre ont la cote ! Une usine de défibrage du chanvre voit le jour en 2018 dans l’objectif d’obtenir une fibre textile. Ces nouveaux débouchés qui se développent pour la fibre requièrent une culture du chanvre différente de celui dédié à l’alimentation.
Du champ à la fibre
La production de fibres de chanvre s’inscrit dans un procédé simple, mais demeure complexe du fait de la variation des caractéristiques de la paille récoltée. Bien que la culture de cette plante semble simple, des enjeux importants peuvent teinter sa transformation : la présence de contaminants, un mauvais rouissage, un taux d’humidité trop élevé lors de la mise en balle. En effet, une récolte peut s’avérer catastrophique s’il y a présence de résidus de la culture précédente, à la suite de la rotation des cultures, comme des tiges de maïs, ou des mauvaises herbes en bordure des champs qui pourraient se mélanger à la paille de chanvre. De plus, la récolte de la paille de chanvre demande une étape de rouissage, qui consiste à y laisser au sol les tiges préalablement coupées. Cette étape favorise l’action microbienne qui facilitera la séparation de la fibre et de la tige. Un mauvais degré de rouissage au champ (sous-rouissage ou sur-rouissage) augmente la difficulté à décortiquer la paille pour séparer la fibre et génère plus de résidus comme de la poussière. Finalement, la rosée représente un ennemi pour le producteur de chanvre, car elle cause une paille trop humide, ce qui peut rendre très difficile l’ouverture de la balle de paille et les étapes de broyage. En somme, toutes ces situations peuvent entraîner le déclassement des pailles récoltées.
En général, le traitement des pailles s’accompagne d’une grande quantité de résidus. Le procédé de défibrage du chanvre pour le textile génère deux principaux types de résidus : la chènevotte (la partie ligneuse de la tige) et la poussière recueillie à partir du système de dépoussiérage du procédé. Sur une base massique, on peut obtenir environ 25 % de fibres brutes, 50 % de chènevotte et près de 25 % de poussières. Cette quantité considérable de résidus peut représenter un frein au développement de la filière de production de la fibre de chanvre. Dans ce contexte, il devient tout à fait nécessaire d’établir le potentiel des résidus pour qu’ils deviennent plutôt des coproduits à valeur ajoutée et qu’ils contribuent à l’essor du chanvre industriel, en générant des retombées économiques additionnelles.
Un projet pour aider au développement de la filière québécoise
Au cours des dernières années, Innofibre a réalisé un projet pour développer des coproduits à valeur ajoutée à partir des résidus de transformation de fibres de chanvre industriel. Ce projet s’est inscrit dans le cadre du programme des technologies propres en agriculture d’Agriculture et Agroalimentaire Canada (AAC), qui vise à réduire l’impact environnemental et à favoriser une croissance durable. Toutes les activités de caractérisation des résidus produits et des pailles déclassées ont été faites à l’aide des différents appareils de laboratoire et des équipements pilotes chez Innofibre. Parmi les propriétés évaluées se trouvent la longueur des fibres, le profil granulométrique, les propriétés d’absorption en eau, la composition chimique et la teneur en contamination. D’ailleurs, une étudiante du programme Écodéveloppement et bioproduits du Cégep de Trois-Rivières a obtenu une bourse pour un stage de recherche au niveau collégial, avec l’appui de Mitacs, afin de collaborer à ce projet. À la suite de cette expérience, elle a choisi de réaliser son projet de fin d’étude sur un sujet connexe, la conception d’un panneau architectural à base de chanvre.
Après la caractérisation des résidus, l’équipe d’Innofibre a étudié des applications dans des produits cellulosiques telles que des papiers et des prototypes en pâte thermoformée. Des panneaux de particules ont aussi été fabriqués et leurs performances mécaniques ont été évaluées. Des granules avec différents résidus ont été fabriquées afin d’évaluer leur potentiel absorbant, fertilisant et énergétique. Pour ce qui est des tiges déclassées de chanvre, la fibre inutilisable pour une application textile s’avère très utile pour des applications d’écomatériaux dans le domaine de la construction.
Dans la foulée des résultats de ce projet, il est réaliste d’envisager un remplacement de matériaux issus de ressources fossiles par des produits du chanvre, provenant de la filière québécoise, et de contribuer significativement à réduire les émissions de GES au Québec. C’est un sujet qui tient à cœur à l’équipe d’Innofibre pour son caractère innovant, son potentiel économique et l’opportunité de développer des produits qui ont une faible empreinte écologique.