Auteure : Katry Robert, chercheuse chez Innofibre
L’industrie des pâtes et papiers est en pleine mutation. Les entreprises s’adaptent aux enjeux sociaux, économiques et environnementaux de notre siècle, des produits disparaissent et d’autres font leur apparition. Pour la fabrication du papier, l’utilisation de fibres issues d’une biomasse diversifiée est en augmentation et permet de remplacer l’utilisation plus conventionnelle des fibres vierges de bois. Ces innovations, qui s’inscrivent davantage dans une optique de développement durable, nécessitent des investissements importants en recherche et développement. De nombreuses étapes sont essentielles à franchir avant de commercialiser un nouveau papier. Un centre de recherche comme Innofibre, avec ses installations pilotes et ses laboratoires, peut s’avérer stratégique pour entreprendre ce type de projet. En plus de bénéficier des services et des conseils d’experts, l’entreprise a accès à une vaste gamme d’équipements qu’on ne retrouve pas ailleurs, notamment la machine à papier pilote qui est sans aucun doute l’une des plus performantes au monde. D’une longueur de 200 pieds avec son formeur supérieur et sa sécherie complète, elle peut produire du papier à une vitesse se rapprochant de la cadence des machines industrielles. Elle possède aussi un système sophistiqué d’analyses en ligne des propriétés du papier, à la fine pointe de la technologie.
Figure 1 L’équipe d’Innofibre s’affairant sur la machine à papier pour un essai pilote
Les nouvelles fibres qui percent le marché
L’industrie évolue, les bonnes vieilles fibres forestières, utilisées pour fabriquer de la pâte kraft ou de la pâte thermomécanique, sont toujours essentielles, mais elles sont tranquillement délaissées à la faveur de ces nouvelles étoiles montantes des pâtes et papiers, soient les fibres recyclées ou les fibres issues de résidus de la biomasse, par exemple des résidus de productions agricoles. Le phénomène s’observe aussi du côté des produits chimiques, alors que les produits chimiques conventionnels du monde des pâtes et papiers, souvent issus de la pétrochimie, cèdent tranquillement leur place à de nouveaux produits biosourcés. L’analyse de cycle de vie des produits découlant de toutes ces innovations se montre habituellement bien plus encourageante que celle des produits conventionnels. Ce n’est toutefois pas une mince tâche que de développer un produit vert, faut-il être capable de prouver que le produit rencontre toujours sa fonction première! Comment prouve-t-on que ce nouveau papier, par exemple, fabriqué avec des fibres résiduelles issues de la biomasse et contenant un liant biologique, est fabricable, utilisable et de bonne qualité? C’est souvent à cette étape qu’Innofibre entre en scène.
Étape laboratoire : fabriquer, décortiquer, analyser le nouveau papier
Comment ce papier innovant vivra-t-il ses journées chez Innofibre? En fait, Innofibre prendra en charge la gestion de projet, notre papier pourra donc prendre forme tranquillement, selon la séquence logique de fabrication et le suivi de jalons de projet, entendu avec l’entreprise. Après la signature d’une offre de service, ou de la charte de projet, les experts du Centre recevront des échantillons des fibres et des produits chimiques, essentiels à la conception du dit papier. Les techniciens effectueront une série de tests, notamment la fabrication du papier à l’échelle laboratoire. Celui-ci subira alors une batterie de tests reconnus et normés du monde des pâtes et papiers. On regardera alors le comportement du papier à la déchirure, à la tension, à l’élongation, à l’éclatement, etc. Le veut-on imperméable à l’air, à l’eau ou aux graisses? Si de telles caractéristiques sont essentielles, elles seront alors mesurées. Ainsi, un vaste choix de tests de laboratoire peut être offert au partenaire industriel. Lorsque les chercheurs et les techniciens d’Innofibre ont appris suffisamment sur la recette convenant au produit visé, la réalisation de l’essai pilote pourra avoir lieu.
Une longue journée sur la machine à papier
La première étape sera de planifier minutieusement une journée de mise en pâte et une journée complète dédiée à la machine à papier. Alors que le triturateur, du côté de la mise en pâte, peut traiter des lots de 400 à 500 kg en 20 à 30 minutes, la machine à papier a suffisamment de cuves d’entreposage pour bénéficier d’une journée d’essai avec, au maximum, 125 m3 de pâte. Si, par exemple, une pâte est amenée à 4 % de consistance, on pourra entreposer dans les cuviers jusqu’à 5 tonnes de fibres pour l’essai semi-industriel de fabrication de papier. La machine d’essai pilote permet une grande variété de conditions d’opération. Elle pourra fonctionner à des vitesses allant de 200 à 1000 m/min et elle pourra fabriquer du papier de 30 à 300 g/m2, une polyvalence et une souplesse que l’on retrouve rarement sur une machine à papier de calibre industriel. Avec son système de contrôle avancé et son scrutateur pour faire l’analyse en ligne du papier (un des plus avancés en Amérique du Nord), tous les éléments seront rassemblés afin de fabriquer un produit innovant permettant de valider sa faisabilité.
La journée d’essai débutera tôt, avec le démarrage de la machine à papier à 7 h le matin. Un équipement de cette envergure nécessite un temps de réchauffement, notamment du côté de sa sécherie complète à 3 sections, totalisant 28 cylindres sécheurs de 1,52 m de diamètre chacun. L’équipe d’Innofibre sera prête vers 9 h à actionner la pompe de pâte épaisse, soit celle du cuvier machine. Le liant à base biologique sera injecté via les différents points d’injection présents à des endroits stratégiques du système d’approche de la machine. Après son passage dans le système d’approche et la caisse d’arrivée de type BTF à 5 zones de dilution, la pâte sera déposée sur la table du Fourdrinier pour y prendre tranquillement la forme du « papier vert » en développement. La pâte cheminera sur la table de formation d’une longueur exceptionnelle de 21 mètres pour retirer graduellement l’eau au moyen de 18 caisses aspirantes. La table est aussi surmontée d’un formeur supérieur pouvant retirer de l’eau par le dessus de la feuille. Ceci minimisera les différences de formation entre le dessus et le dessous de la feuille qui pourraient apparaître à haute vitesse. La feuille passera ensuite dans les 3 presses, de type « Bi-Nip », « Jumbo » puis finalement « Presse à sabot ». Après un séchage graduel et extensif dans la sécherie, le papier finira enroulé en une bobine mère au niveau de l’enrouleuse. La bobine mère aura un diamètre de 2 mètres et pourra donner des bobines filles du côté de la bobineuse. La bobineuse produira des bobines finales de 1 mètre de diamètre. Ayant ainsi réussi l’essai et ayant produit suffisamment de papier, l’équipe pourra valider que le papier innovant est fabricable sur une machine à papier conventionnelle. Dans les jours subséquents, toutes les analyses nécessaires seront effectuées dans les laboratoires d’Innofibre pour confirmer que ce papier rencontre son utilisation et son niveau de qualité.
Figure 1 La presse à sabot permet une grande polyvalence. Le mécanisme interne du rouleau permet une zone de pressage étendue, elle est donc plus efficace que la presse conventionnelle pour retirer l’eau et tout à fait représentative des technologies industrielles.
Le scénario ci-dessus est bien certainement une journée « idéale » dans la confirmation d’une recette de pâte. Dans l’innovation et la création de nouveaux papiers et cartons, plusieurs journées de tests peuvent s’avérer nécessaires. Innofibre travaille alors de près avec son partenaire industriel pour apporter les correctifs aux recettes et aux procédés en cours de développement afin que d’atteindre ses objectifs. Quotidiennement, ce sont les valeurs de respect, d’engagement, d’innovation et d’audace qui guident le travail dans le Centre de transfert de technologie. Innofibre est animé par la volonté de contribuer au positionnement technologique et au développement durable de l’industrie papetière et du bioraffinage au Québec, en soutenant l’innovation et la diversification des produits issus de la biomasse et en adaptant les technologies papetières. C’est une mission qui tient à cœur et qui motive tous les jours toute son équipe de 47 experts.
Pour plus d’images d’une journée type d’essai sur la machine à papier chez Innofibre :
Vidéo : Journée d’essai pilote sur la machine à papier