Auteurs : Daphné Brodeur étudiante à la maîtrise à l’INRS et Marc-André Déry, enseignant-chercheur chez Innofibre
Bien installée dans certaines municipalités du Québec, la biométhanisation a présentement le vent dans les voiles. En effet, ce procédé complexe de décomposition des matières organiques permet une gestion plus écologique de celles-ci qui, autrement, aboutissent régulièrement dans des sites d’enfouissement. Lorsque cela se produit, les matières organiques enfouies favorisent la libération de méthane, un puissant gaz à effet de serre. Innofibre participe actuellement à un projet de recherche en équipe avec l’UQTR et l’ULaval afin de valoriser le produit solide résultant de la biométhanisation; le digestat.
Depuis plusieurs années, un intérêt grandissant est porté à la gestion des déchets municipaux. On assiste présentement à un tournant important quant aux moyens déployés pour gérer les déchets de manière plus écologique. En ce sens, la biométhanisation tend à s’imposer au Québec. Pionnière dans ce domaine en Amérique du Nord, la ville de Saint-Hyacinthe opère avec succès, une usine de biométhanisation depuis plus de 10 ans. De plus, un projet d’expansion du centre de traitement par biométhanisation de la ville de Varennes permettra d’accueillir prochainement les matières organiques de la ville de Longueuil, profitant ainsi à une population totale de plus de 650 000 personnes. Quant à la ville de Québec, elle inaugurera son centre de biométhanisation en 2022. Il est donc bien vrai que la biométhanisation a le vent dans les voiles au Québec!
Qu’est-ce que la biométhanisation?
Essentiellement, la biométhanisation consiste en un processus de dégradation de la matière organique s’effectuant en absence de l’oxygène (processus dit anaérobique). Pour parvenir à cette dégradation des déchets organiques, des populations microbiennes sont nécessaires afin de faire subir une succession de réactions chimiques aux matières putrescibles. Au fil du processus, les microorganismes transforment les matières décomposables et permettent d’obtenir deux produits distincts : un produit gazeux, appelé biogaz (ou gaz naturel renouvelable), ainsi qu’un produit solide d’apparence proche au compost, le digestat (fig. 1). Typiquement, le biogaz obtenu contient principalement du méthane (environ 60 %), du CO2 (environ 30 %), de la vapeur d’eau et des sulfures d’hydrogène. Après traitement, le biogaz peut être utilisé pour une multitude d’applications. Quant au digestat, sa composition varie grandement en fonction des matières organiques utilisées (matières organiques de nature résidentielle, résidus agricoles, boues d’épuration, etc.). Néanmoins, le digestat est généralement composé d’eau et de matières organiques et inorganiques, non digérées (fibres, produits azotés, métaux, etc.).
Avantages de la biométhanisation
L’enfouissement des matières organiques libère dans l’atmosphère du méthane, un gaz à effet de serre environ 25 fois plus dommageable que le CO2. En détournant une partie des déchets organiques de l’enfouissement vers la biométhanisation, il est donc possible de récupérer ce méthane au niveau du biogaz. Ce biogaz traité, riche en énergie, devient alors un produit intéressant pouvant servir à une multitude d’applications. Typiquement, le biogaz produit est principalement utilisé pour chauffer des équipements de biométhanisation, par exemple, les digesteurs qui doivent être maintenus à une température comprise entre 20 et 75 °C (fig. 2). On utilise aussi le biogaz pour chauffer des bâtiments ou pour produire de l’électricité. De plus en plus fréquemment, le biogaz traité devient une opportunité de revenus pour l’organisation gérant un site de biométhanisation, puisqu’il peut être vendu à Énergir (l’entreprise de distribution de gaz naturel au Québec). Pour bénéficier de cette opportunité de distribution, le producteur doit s’assurer que les spécifications de qualité requises sont atteintes. Bref, il est facile de constater que la biométhanisation offre des avantages certains sur les plans écologique et économique. Cependant, comme toute technologie récente en déploiement, la biométhanisation présente également un certain lot de contraintes.
Inconvénients de la biométhanisation
Tout d’abord, un investissement initial important est nécessaire lors de l’instauration d’une usine de biométhanisation. En dépit des revenus générés par la production de biogaz, un plan détaillé doit être réalisé afin d’assurer la rentabilité d’une telle usine. De plus, pour permettre le bon fonctionnement d’une usine de biométhanisation, un flux constant de résidus organiques doit être acheminé à l’usine tout au long de l’année. Une bonne gestion des pics saisonniers, par exemple à l’automne lors de l’élimination des feuilles mortes, est essentielle afin d’éviter une surcharge des équipements de biométhanisation. Enfin, l’un des inconvénients majeurs de la biométhanisation est lié à la valorisation du digestat. De manière générale, une séparation liquide-solide est appliquée au digestat. La fraction liquide, riche en nutriments, est principalement utilisée comme engrais par des fermes avoisinantes. La fraction solide, quant à elle, possède une teneur élevée en matière récalcitrante, la rendant ainsi plus difficile à valoriser. Habituellement, le digestat solide est employé comme compost. Toutefois, cette utilisation entre en compétition avec d’autres matières résiduelles fertilisantes, comme le lisier de porc présent en grande quantité au Québec. Il est donc primordial d’établir d’autres voies de valorisation pour le digestat solide de biométhanisation.
Projet Innofibre – UQTR – ULAVAL
Innofibre participe actuellement à un projet de recherche en équipe avec l’UQTR et l’ULaval, projet financé par le Fonds de recherche du Québec – Nature et technologie (FRQNT). Ce projet vise à développer une nouvelle voie de valorisation des digestats solides de biométhanisation. Dans le cadre de ce projet, dirigé par le Dr. Simon Barnabé (UQTR), les digestats solides sont évalués comme possible source alimentaire utilisée pour l’élevage des larves de la mouche soldat noire (fig. 3 et 4). En effet, de nombreuses études démontrent la grande capacité des larves à consommer différents types de matières organiques. De plus, les larves de la mouche soldat noire sont des insectes décomposeurs comestibles riches en protéines. Ainsi, cette nouvelle voie de valorisation des digestats solides permettrait de mieux gérer cette matière qui est appelée à augmenter dans les années à venir. Parallèlement, la forte concentration en protéines des larves de la mouche soldat noire pourrait en faire un ingrédient de choix dans la formulation alimentaire d’animaux d’élevage.
Dans une perspective de développement durable, cette combinaison de la biométhanisation et de l’élevage d’insectes décomposeurs donnerait lieu non seulement à un système de gestion écologique des déchets organiques, mais aussi à un modèle d’économie circulaire innovant et robuste. Et qui sait, peut-être qu’un jour ces protéines provenant des larves de la mouche soldat noire se retrouveront dans notre assiette, sous une forme ou une autre!