Auteur : Éric Denoes, chercheur chez Innofibre
L’industrie textile génère une grande quantité de déchets, notamment lors de la confection des vêtements, comme des quantités importantes de retailles. Soucieuse de son impact environnemental, une entreprise engagée, atelier b, se lance dans une production zéro déchet. Elle se donne le défi de retransformer les déchets textiles en objets d’art, et ainsi, détourner les retailles textiles des sites d’enfouissement.
L’industrie du textile : Un modèle à réinventer
Depuis les temps anciens, les tissus et les fibres ont toujours fait partie intégrante de toute activité humaine. Les tissus ont pour fonction première l’habillement, mais servent aussi à identifier le statut social et répondre aux différentes modes et tendances. Autrefois florissante, l’industrie textile québécoise s’est progressivement délocalisée pour éventuellement voir des maillons entiers de la chaîne de valeur disparaître. Ainsi, la production locale de fibres est aujourd’hui inexistante; la confection est essentiellement délocalisée; les produits finis sont largement importés, et il y a peu de débouchés pour les textiles en fin de vie. Le Québec souffre d’une organisation essentiellement linéaire de ce secteur industriel qui se termine en général par le rejet des biens et leur enfouissement. Mondialement, on évalue que plus de 50 % des biens issus de l’industrie de la mode sont utilisés et jetés au cours de la même année. Pour sa part, l’industrie textile au Québec, c’est beaucoup de consommation et pour le moment, peu de recyclage. Selon Recyc-Québec : « Au Québec, 3 % des matières résiduelles mises dans les collectes de déchets ou de matières recyclables en bordure de rue par les ménages sont des produits textiles ou d’habillement. Cela équivaut à 12 kg/personne/année ou à un peu plus de 95 000 tonnes générées ». Peu de filières de recyclage du textile existent actuellement : certains vêtements sont transformés en chiffons et certains déchets de coupe sont défibrés pour produire des feutres. De surcroit, les possibilités sont particulièrement limitées pour les textiles post-consommation.
Des initiatives qui se placent en porte à faux avec cette tendance lourde de l’industrie
Anne-Marie Laflamme et Catherine Métivier sont les amies et entrepreneures qui ont fondé la marque atelier b en 2009. Leurs collections de vêtements durables et minimalistes sont conçues dans leur atelier-boutique à Montréal, et fabriquées à partir de textiles de fibres naturelles. Chaque année, la confection de leurs collections génère une tonne de retailles textiles. Les deux designers travaillent à les valoriser en développant une collection d’objets d’art utilitaires (Figure 2).
La retaille : de déchet à objet de design
Une retaille est la partie de matière coupée lors de la fabrication d’un objet : les retailles de tissus issues de la conception d’un vêtement, par exemple. L’action de retailler définit la transformation d’un objet initial en quelque chose de nouveau et de raffiné. L’économie circulaire à partir de ces retailles réside dans l’idée que la matière coupée demeure de la matière utile. Dans ce cas précis, le « surcyclage » de ces matières ou « Up-cycling » consiste en la transformation de chutes de tissus ou de vêtements non désirés en une collection d’objets d’art utilitaires à plus haute valeur ajoutée. Les défis sont certes nombreux, et plusieurs essais et erreurs sont nécessaires pour trouver les bonnes techniques de séchage, de moulage ou de thermoformage de la matière première en objets d’art et de décoration innovants. De plus, les fibres naturelles sont généralement mélangées et on y retrouve du coton, du lin ou encore du lycocell (une fibre artificielle de cellulose modifiée chimiquement par un procédé beaucoup plus écologique que la rayonne obtenue par le procédé viscose). Ainsi, la mise en pâte ou le défibrage textile par raffinage est un enjeu crucial pour la valorisation des retailles en une matière à plus haute valeur ajoutée. Les deux entrepreneures proposent déjà un processus artisanal ingénieux pour la transformation des textiles en pâte cellulosique. Par la suite, cette pâte peut être transformée en pièce 3D grâce à des techniques de moulage et de thermoformage (Figure 3).
Recherche et innovation au service du design et de l’économie circulaire
Afin de développer leurs gammes de produits et leurs expertises dans les produits moulés/thermoformés, atelier b a fait appel à Innofibre. L’équipe du centre collégial de transfert de technologie spécialisé dans la fibre cellulosique travaille à résoudre les principaux défis techniques pour accélérer le développement d’emballages cellulosiques émergents à haute valeur ajoutée. Les produits thermoformés ont suscité un grand développement technologique et beaucoup d’intérêt industriel au cours des dernières années. Ces produits sont très polyvalents et peuvent être utilisés non seulement pour des produits de luxe, mais aussi comme enveloppe protectrice pour des produits de grande consommation. Grâce aux améliorations apportées à cette technologie, les produits finis sont dotés d’une sophistication élégante. Les emballages en fibre moulée ont grandement évolué depuis les classiques boîtes à œufs, pour offrir maintenant des emballages thermoformés de luxe pour les marques haut de gamme.
Dans une première collaboration, atelier b et Innofibre ont étudié le potentiel de l’intégration des fibres textiles issues de retailles comme matière principale dans la fabrication de pâte pour le procédé de thermoformage. À ce jour, les résultats démontrent un grand potentiel et des échantillons avec un fini riche et soyeux ont été produits.
Alors que la production de pâte thermoformée est un processus simple et rapide, le processus de fabrication des moules est généralement fastidieux et demande beaucoup de travail de conception. La fabrication de moules est cependant indispensable pour arriver à la forme souhaitée et aux caractéristiques nécessaires. Pour de nombreuses applications, l’impression 3-D permet de réduire les délais de conception et les coûts de production des moules (Figure 4).
Ainsi, l’impression 3-D de moules fournit une alternative rapide et peu coûteuse pour le moulage de fibres naturelles. Grâce à l’expertise d’Innofibre dans les produits moulés/thermoformés et avec le soutien de professeurs du Cégep de Trois-Rivières dans la conception de moules par impression 3-D, atelier b et Innofibre développent présentement des solutions durables et innovantes pour valoriser les retailles de tissus en objets d’art utilitaires à haute valeur ajoutée.
Conclusion:
L’économie circulaire est une transition incontournable vers un modèle de production qui dissocie la croissance économique de la consommation des ressources et qui permet de réduire les répercussions environnementales des biens de consommation en fin de vie. En associant l’innovation développée dans les centres de transferts de technologies et les entrepreneurs locaux, le Québec accélère la transition vers une économie à faibles émissions de carbone, prospère et résiliente, le développement d’objets d’art utilitaires en est un bel exemple.